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Un Moyenvicois à la une

dimanche 17 janvier 2010


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Un Moyenvicois était à la une du supplément du Républicain lorrain ce dimanche 17 janvier. Un superbe portrait réalisé par le journaliste Philippe Creux, présente le locataire de la ferme bleue, Pierre Lacroix. Ce Québecois, toujours jovial et sympathique, se dévoile un peu plus dans ce texte.

Pour ceux qui ne reçoivent pas le quotidien régional, voici l’article :

Autodidacte absolu, Pierre Lacroix a tout fait ou presque. Illustrateur et scénariste de BD fantastique, auteur-compositeur, il affiche un parcours hors norme. Sa vie se poursuit sans fard à Moyenvic, loin du Québec.

« T abernacle , maudits pucerons ! » jure dans sa barbe l’homme qui couve son potager d’un œil attendri. « Si vous venez, je ne fais plus de potager », a-t-il lancé un jour aux insectes. Ainsi parle l’homme, pas encore sexa, qui s’est installé en terre saline en 2005. La faute à l’amour, sans doute. Il a rencontré Joëlle sur la toile. Sa femme et lui se consacrent aujourd’hui à l’accueil d’adultes handicapés à Moyenvic.

L’histoire de Pierre Djada Lacroix est un mille-feuille. Il est né à Hull, ville baignée par la rivière des Outaouais, pile poil à la limite du Québec et de l’Ontario, face à Ottawa. Les Hullois ne sont pas peu fiers de défendre leur langue, narguant ainsi leur fédérale voisine, « une ville fantôme, soutient Lacroix. J’ai grandi dans la haine des anglophones qui venaient profiter des bars ouverts bien plus tard chez nous, cela finissait souvent en bagarre ! »

En 1967, il quitte la maison sans autorisation, avec juste ce qu’il faut en poche, son copain Donald et l’esprit de débrouille pour compagnons. « On voulait partir dans l’Ouest sans but précis, sinon d’acheter une Harley Davidson, comme Dennis Hopper dans Easy rider. » L’envie de dire à l’ establishment d’aller se faire voir et la pilosité seyant à la période hippie, les deux compères découvrent un monde rude, font de mauvaises rencontres et tracent la route en vivant de petits boulots, comme celui de guides de piste dans les ranchs, Pierre étant un habile cavalier. « Arrivés à Calgary, nous n’avions plus d’argent, et là on nous dit "Vous serez mieux à Vancouver". » Ils y débarquent un jour de pluie. La Colombie Britannique leur servira de révélateur à plus d’un titre : « Je parlais des têtes folles, mais à Vancouver, rien de tout ça, j’y ai découvert l’ouverture d’esprit. »

Commencent alors des années de débrouille, de musique et de rencontres où il aligne les accords rock and folk sur scène, écrit ses premiers poèmes et collabore avec la presse écrite, notamment la revue Pop rock jeunesse de Montréal. Il rédige des dossiers sur Deep Purple, David Bowie, The Band ou Bob Dylan, croise Lennon, Joan Baez et Leonard Cohen, décrit la venue de Crosby, Stills, Nash and Youg à Vancouver en 1974… tout en multipliant les métiers, tel celui de cuisinier dans une gargote mexicaine.

1974. Retour au Québec. Une autre vie commence à 24 ans. Les seventies révèlent sa vélocité à jouer du crayon. Il découvre la revue Requiem dans la cave d’un libraire de Hull et s’étonne de la couverture. Il y dessine sa première création en 1978. La décennie suivante fera de lui un illustrateur respecté dans l’insondable domaine de la science-fiction au Québec et dans la francophonie, un rédacteur prolifique de nouvelles et l’éditeur de Carfax, fanzine versant dans le fantastique et l’horreur. Il décroche en 1982 et 1987 le Prix Boréal du meilleur illustrateur, le seul du genre science-fiction et fantastique à être décerné par les lecteurs au Québec. Pierre Lacroix est un artiste inspiré. Ses êtres difformes sont aussi effrayants qu’expressifs, ses personnages se meuvent dans des univers sombres et inédits, les ombres menacent, le relief surprend, et les femmes sont omniprésentes. Les décors sont originaux, mais lui vise le mystère et les expressions.

Les belles illustrées par Lacroix ont les cheveux longs et entrelacés, mélange d’algues mouvantes constituant la force d’un dessin. « Mes premières illustrations, je les trouvais plates, j’y ai ajouté du relief. J’ai apporté un côté bluesy à mon style, je créais des visages avec des choses qui ne sont pas visibles, et à cette époque, j’avais des modèles. Il est vrai que la femme a une grande part dans mon œuvre, on me l’a même reproché. » Spécialiste du pointillé, il est aussi à l’aise en acrylique, huiles, aquarelles et gouache et ne cesse d’améliorer sa technique, le moindre dégradé déplaisant l’incitant à retoucher son dessin. Les amazones futuristes ou imaginaires vous fixent avec l’éclat d’un diamant. « Chez l’humain, les yeux sont la seule chose qui m’intéresse, ils sont le reflet de l’âme », écrivait Pierre en 1983. Un véritable orfèvre de l’iris, en somme.

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Concierge à Montréal dans les années 1980, il ne voit pas passer cette période créative où il lit entre 200 et 300 ouvrages puisqu’il est aussi recherchiste-lecteur, celui qui détermine la catégorie dans laquelle un livre sera publié. « Tout ça, c’est du passé, j’ai donné vingt ans de ma vie et j’ai atteint un top niveau dans les illustrations. Puis l’informatique est venue à ma rescousse. » Il acquiert son premier Mac, tapote comme un débutant et ne quitte plus le clavier au point de créer peu de temps après des programmes informatiques, devient conseiller et crée plus tard des sites web pour les particuliers. « Quand je fais quelque chose, il faut que je sache comment ça marche. » Il est vraiment comme ça, notre Hullois, une once de talent en plus. Un parcours semé de coups de foudre permettant à ce touche-à-tout de tenir la rampe.

Autre domaine où il excelle sans jamais avoir appris à l’école : la musique. Rien qu’en 1996, il compose une centaine de chansons. Il a enregistré, depuis, une dizaine d’albums variant du folk au pop-blues, des productions instrumentales surtout. « Sylvain Carufel, jeune guitariste québécois talentueux, m’a donné la piqûre. » Pierre Lacroix aime la "gratte". Il distribue des conseils sur la manière d’enchaîner les accords. Mieux : il aime s’entourer de guitaristes, histoire d’échanger les bons plans. « La guitare, c’est un défoulement, je ne sais pas lire la musique et tout ça, ça vient comme ça, le seul talent que j’ai, c’est la passion. » Il n’a jamais appris non plus le dessin ou l’informatique. Il met du volume et de la poésie dans ce qu’il fait. Tout comme dans le potager de la ferme de Moyenvic.

Philippe CREUX, RL, 7 hebdo, dimanche 17 janvier 2010

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